Rue du Faubourg Saint-Denis

Il pleut des cordes. Paris ressemble à une baraque pourrie qui prend l’eau de partout. Impossible de s'abriter. Devant la gare du Nord les voitures se tirent la bourre dans un joyeux chaos de klaxons, d’invectives et d’appels de phares. Je me dirige vers La Chapelle, empruntant la rue du Faubourg Saint-Denis. J’ai rendez-vous dans un bistrot tenu par un Sri Lankais, à l’angle de la rue Cail. Ses clients sont Chinois, Indiens, Africains et j’en passe. On dirait que le monde entier se donne rendez-vous ici chaque jour pour une levée de coude multiethnique. Thiru fait son apparition peu de temps après moi. Il est trempé jusqu’aux os. Des petites gouttes de pluie sont suspendues à sa moustache grisonnante. Je lui commande un café que nous prenons sur le zinc. Ça brûle dans la gorge, raclant un peu l’œsophage avant d’atterrir dans le ventre (...)
C’est notre deuxième entrevue. Je nous sens plus à l’aise. Son regard cherche pourtant à sonder le mien quand il parle. Son histoire est celle de beaucoup de réfugiés politique. Alors étudiant à Colombo, il décide un jour d’écrire un article contestataire dans le journal  de son université Le gouvernement prend très mal la chose et s’applique à lui rendre la vie impossible. Les menaces finissent par avoir raison de la témérité de l’étudiant tamoul. Bientôt c’est Roissy, Paris et une piaule dans le 10e arrondissement. Trente ans passent et nous voilà dans ce café, rue du Faubourg Saint-Denis. Moi qui pars dans deux jours, lui qui n’a jamais revu son pays. C’est sans doute pour ça que Thiru a décidé de m’aider. Même s’il ne me connaît pas, quelque chose en lui, les braises de l’espoir peut-être, voudrait me faire confiance. « Il est jeune, inexpérimenté, mais visiblement motivé. Qui sait, peut être fera-t-il avancer les choses. » Voilà comment je me figure ses pensées alors que je lui soumets mes idées de reportages.


Thiru est un réfugié politique tamoul. Il vit en France depuis 30 ans.


Thiru sort de sa poche un petit calepin dans lequel est gribouillée une série de numéros. Mes premiers contacts au Sri Lanka. Un journaliste, un universitaire et un ex député. Tous sont Tamouls et vivent à Jaffna, une ville située dans le nord de l’île. Pour me rendre là-bas j’ai besoin d’une permission officiel du ministère de la Défense. L’avion est ma seule option depuis que l’armée bloque la route qui mène à Jaffna : trois check points se succèdent sur moins de 40 km, un rideau de fer surnommé « Elephant Pass ». Charmant. Les choses s’annoncent compliquées avant même d’avoir commencées.

La pluie s’est calmée. Nous échangeons encore quelques mots devant le bistrot avant de nous quitter. Mais je me sens déjà loin et ma main droite tremble légèrement. « Je vous tiendrai au courant de mes avancées » - « Faites attention à vous là-bas. On se revoit en février. » - « Si je suis toujours en vie ! » - « Je vous souhaite au pire de vous faire expulser. » Nous esquissons un sourire. Jaune foncé. Thiru part en direction du métro La Chapelle. Je rebrousse chemin vers de la gare du Nord. Mille pensées se chevauchent dans ma tête. Très vite douchée par la pluie qui s’est réveillée.

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