Au Sri Lanka, les avions militaires craignent la pluie


 Mon voyage à Jaffna a commencé à l’aéroport militaire de Colombo. La route étant interdite aux étrangers après Kilinochchi, le ciel reste la seule option. Là aussi il faut une autorisation du ministère de la Défense sri lankais, assez simple à obtenir. Muni de mon précieux sésame je me présentai au premier poste de contrôle de l’aéroport : fouille des bagages, inspection du véhicule. Bonjour la confiance !
A 6h30, j’arrivai dans la salle d’attente : une quinzaine de blancs à gauche (des humanitaires) et une quarantaine de militaires à droite. J’étais le seul touriste ! Pour parfaire mon imposture, je m’étais affublé d’un t-shirt ridicule et d’une casquette. Avec cet accoutrement j’étais tranquille. A 8 heures, tout ce petit monde a pris place dans un avion de l’armée. La carlingue était un vrai four, mais cela ne semblait pas déranger mon voisin en treillis, imperturbablement plongé dans la lecture d’un conte cingalais. De temps à autres, une goutte de sueur perlait sur son menton et venait s’éclater sur une des pages du livre. Je souris en me disant que si j’avais eu un livre entre les mains il n’aurait pas survécu au voyage !

Bientôt, une secousse se fit sentir dans l’avion, suivie d’un crissement de métal. Le moteur tournait enfin ! Mais il faut croire que ce jour-là les dieux allaient s’acharner sur moi, car très peu de temps après avoir mis l’appareil en branle, le pilote coupa le moteur et sortit du cockpit. Il échangea quelques mots avec le plus haut des gradés qui hocha la tête à plusieurs reprises avant de se lever à son tour et d’enjoindre ses hommes de l’imiter. On nous expliqua qu’il fallait descendre de l’avion car la météo était mauvaise dans le Nord et qu’on essaierait de décoller plus tard. Plus tard ? Quand plus tard ? Quand il arrêterait de pleuvoir. Et oui, même au Sri Lanka on est victime des intempéries, croyez-moi. Pour faire bref, ce jour-là nous avons essayé à trois reprises de décoller, à la dernière on y croyait pourtant, car l’avion s’était élancé à vive allure sur la piste mais au lieu de s’arracher du tarmac, il a freiné puis rebrousser chemin. Pour quelle raison ? il ne pleuvait pourtant plus à Jaffna, oui, mais au bout de cinq heures d’attente il s’était mis à pleuvoir à Colombo ! Du coup le vol a été reporté au lendemain. Je vous épargne les détails, sachez juste que nous avons finalement décollé à la deuxième tentative, à la première il y avait eu un problème technique et nous avions dû changer d’oiseau.
C’est dans un état assez poisseux que je suis finalement arrivé à l’aéroport de Palaly, situé à 30 minutes de Jaffna. Mes amis militaires m’ont gentiment escorté jusqu’à mon hôtel, le Pillayar Inn. On m’a mis dans une chambre répugnante, où les murs suintaient d’humidité, mais trop fatigué pour émettre le moindre reproche je me suis écroulé sur le lit et j’ai dormi une bonne partie de l’après-midi.
A mon réveil je me suis rendu au Daily Voice of Jaffna, où j’avais rendez-vous avec Raji, un journaliste tamoul qui allait me servir de guide et me montrer ce que le gouvernement cherche à cacher au Sri Lanka. Je découvrais un homme d’une quarantaine d’années, rachitique. La fatigue avait déposé son empreinte sur son visage qu’il avait dur, son regard était scrutateur et ses lèvres ne devaient pas sourirent souvent. Nous avons établi un programme pour les jours à venir : visites de familles déplacées, des veuves de guerre, des anciens internés des camps de Menik Farm… Le programme était chargé et s’annonçait périlleux. « Je suis surveillé par la police, me confia Raji, donc ils vont très vite savoir que tu es avec moi, il faudra être vigilant, ne pas nous exposer. Si on te pose des questions tu dis que tu es là en touriste et que je te montre le pays. » J’hochai la tête gravement et le saluai. Le lendemain nous avions rendez-vous chez une femme qui avait perdu son mari pendant les derniers combats de Mullaittivu. Le travail commençait enfin, j’avais hâte. Mais ce que je m’apprêtais à découvrir à Jaffna dépassait toutes mes attentes.

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