La tente de Rajavi


Cinq paires de souliers sont alignées sur le rebord de la fenêtre. Mais il n’y a pas de fenêtre. Ni de chaux, de peinture ou de toit. Il n’y a que l’ossature d’une maison qui pourrait être un bel endroit où voir grandir ses enfants. Il y a des espaces vides et à ciel ouvert, des recoins où pourrit la poussière et s’épanouissent les mauvaises herbes. Dans ce qui s’apparente à la pièce commune, les cinq enfants de Rajavi jouent avec la terre humide, la transformant en gâteaux avec des moules récupérés. Deux chaises constituent le seul mobilier de cette famille tamoule catholique. Un petit miroir accroché sur un des murs indique la salle de bain. Le visage abimé de la mère y dépose son emprunte lorsqu’elle se coiffe le matin.

Collée à la maison inachevée, une bâche estampillée « UNHCR » sert de tente pour la famille. Elle est sous-tendue par deux branches croisées l’une sur l’autre en forme de « V » retourné. Une vulgaire béquille qui supporte le poids de leur misère. Dans cet espace confiné et sombre on cuisine, on s’habille et on dort entassé. Entassé comme le linge rangé sur le côté qui renferme les odeurs de curry et l’humidité les jours de pluie. Le puits jouxtant leur abri sert d’approvisionnement pour les douches. Lorsqu’on s’y penche on aperçoit des poissons qui grouillent parmi les déchets flottant dans l’eau saumâtre. Cette famille a pour voisin un cadavre de bus calcinée et comme pelouse des briques fendues et des barres de fer rouillées. Bienvenu chez Nithusan, Nilodan, Dadilani, Dinugia et Rajavi. Leur enfer ici dure depuis un an mais a commencé bien plus tôt.
Le mari de Rajavi était peintre en bâtiment. Il a été tué le 8 mars 2009 dans une attaque au mortier, alors qu’il travaillait sur un chantier à Mullaittivu (N-E). Rajavi n’a pas eu le temps d’entamer son deuil. Le lendemain elle a été victime elle aussi d’un éclat de bombe, se blessant grièvement au bras.  Avec ses enfants, elle est parvenue a rejoindre un bateau de la Croix Rouge qui partait pour Trincomalee (sur la cote est, au sud de Mullaittivu). Seul l’aîné a été retenu par le LTTE et a dû rester avec leur grand-mère. Ce n’est que plus tard qu’il les a rejoint à Vavuniya.  Hospitalisée à Trincomalee, Rajavi s’est faite retirer les éclats de shrapnel plantés dans son bras droit, puis l’armée l’a placée avec sa famille dans un des camps de réfugiés de Menik Farm (Vavuniya District). Ils y sont restés enfermés de mai à octobre 2009.
« Nous étions douze personnes sous une toute petite tente. Ma sœur était là avec ses deux enfants. Son mari est mort lui aussi à Mullaittivu. Nous étions dans la zone 3 du camp, avec 25 000 autres personnes qui souffraient de malnutrition et de toutes sorte de maladies. Deux de mes enfants sont tombés malades peu de temps après notre arrivée. J’ai dû vendre mes bijoux pour acheter des médicaments. Ma fille de 6 ans a été opérée. Des médecins étrangers se sont occupés d’elles. Ils ont soigné ses infections cutanées sur les jambes et les bras. Mais il était presque impossible d’assurer l’hygiène de mes enfants. Tout était tellement sale ! »
Rentrée à Jaffna, sa ville de naissance, la vie de Rajavi ne s’est pas améliorée. Sans éducation ni ressource, il lui est très difficile de trouver un emploi. Elle aimerait ouvrir sa propre épicerie mais n’arrive pas à emprunter d’argent. Sa mère veille sur les enfants lorsque Rajavi doit faire une commission ou se rendre au Daily Voice of Jaffna. Grâce au travail de ce journal tamoul qui publie chaque semaine une page spéciale sur les victimes de guerre, dressant le portrait de famille dans le besoin, Rajavi reçoit régulièrement des dons de la part des lecteurs. « Environ 35 euros par mois qui me permettent de sortir un peu la tête hors de l’eau. » Mais ce n’est pas suffisant pour assurer l’éducation de ses enfants. « Mes deux jumeaux vont être en âge de commencer l’école mais je n’ai pas les moyens de leur acheter un uniforme et des fournitures scolaires. Mes enfants sont pourtant notre seul avenir mais je ne peux même pas les envoyer à l’école. Je n’ai plus d’espoir ! Et j’ai peur pour l’aîné qui vient d’avoir 17 ans. On dit que le LTTE pourrait se reformer. Mon fils serait alors en âge d’être enrôlé de force… »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.