Témoignage


Sivakumar, journaliste, 33 ans. Interviewé à Jaffna le 10 décembre 2010.
« J’ai quitté Karaiyamullivaikal (district de Mullaitvu, ndrl) la veille des derniers affrontements entre le LTTE et l’armée singhalaise (SLA). C’était le 17 mai 2009. Le lendemain, Rajapakse proclamait la victoire de ses troupes. La guerre était terminée. Mes derniers souvenirs de Mullivaikal relèvent de l’épouvante. J’ai vu tellement de gens mourir, surtout des femmes et des enfants. Les bombardements cinghalais étaient intensifs et dévastateurs. Peut-être ai-je vu 1,500 personnes périr en tout. J’ignore comment ma famille et moi avons survécu. Je me souviens que des avions de la SLA ont réduit en miettes un hôpital, faisant au moins 150 victimes. C’était en mars.
Partout les gens tentaient de fuir la zone. La Croix Rouge, dans son départ précipité, avait promis de revenir dans deux jours mais n’a jamais pu. Le LTTE empêchait les gens de partir. Nous étions pris au piège. L’armée cinghalaise était au courant que des civils restaient dans la zone, ce qui ne l’a pas empêché les bombes de tomber. Le LTTE nous apportait de la nourriture. Vers les derniers jours, je dirais qu’entre 60 et 100 personnes mourraient chaque jour. Le TRO (Tamil Rehabilitation Organization) enterrait les corps.
Un jour, l’armée cinghalaise a annoncé par radio qu’elle accueillerait les civils qui accepteraient de quitter la zone contrôlée par le LTTE. Elle assurait sa clémence en retour, mais menaçait tous ceux qui refuseraient son offre.  J’ai pris mon fils de trois ans et ma femme et nous nous sommes rendu dans les territoires occupés par la SLA, c’était le 17 mai. A ce moment le LTTE s’était rendu à l’évidence que la défaite était inéluctable et n’empêchait plus les gens de partir. Nous pensions être tiré d’affaire, mais l’enfer ne faisait que commencer.
Nous avons été transféré à Vavuniya, dans les camps de prisonniers de Menik Farm. Dans notre camp, nous étions environ 115 000 personnes, entassées là, sans eau potable, électricité ni toit. Nous dormions dehors, les uns contre les autres. Les jours étaient très chauds et les nuits glacées. Ce que nous avons vécu était horrible, inhumain. Il n’y avait pas de séparation entre les bassins d’eau et les latrines, nous buvions de l’eau croupie, infecte. Les gens souffraient de dysenterie, de malaria, de fièvre. C’était devenu un vrai nid de mouches. La nourriture, si on peut appeler ça comme ça, était une bouillie immonde. On fusillait ceux qui protestaient ou qui tentaient de fuir.
Parfois, des jeunes filles étaient emmenées de force dans les bureaux de l’administration du camp pour être interrogées (tout le monde y passait). Certaines de ces filles ne ressortaient jamais. Beaucoup de gens mourraient, surtout les personnes âgées et les enfants en bas âge. On souffrait d’insolation car il n’y avait pas d’endroit ombragé. Lorsqu’il pleuvait fort, le camp était inondé et les abris s’écroulaient comme des châteaux de cartes. On pensait que les choses allaient s’améliorer avec la visite de Ban Ki Moon, puisqu’il fallait que tout soit « présentable ».  Mais ça n’a duré qu’un temps.
Ma famille et moi avons été libérés en décembre 2009, après sept mois d’enfermement. La veille de ma libération j’ai été convoqué pour un dernier interrogatoire. Puis on m’a menacé de me replacer ici à la moindre incartade. En octobre dernier (2010), des officiers sont venus chez moi pour me faire signer un formulaire comme quoi j’approuvais la nouvelle loi sur l’anti-terrorisme.
Aujourd’hui j’ai repris mon activité de journaliste et j’ai retrouvé une vie à peu près normale. Mais mon métier m’expose toujours et je sais qu’on me surveille. Je l’accepte et je fais avec, c’est le prix à payer pour la vérité ».

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